Jean-Pierre POTIER
(Université Lumière-Lyon 2 – TRIANGLE-UMR n°5206 du CNRS)


Les économistes néo-libéraux au XXe siècle

Aujourd’hui, le mot « néo-libéralisme » est un « mot valise », employé pour des usages très variés. Il est donc nécessaire au préalable de distinguer plusieurs sens :


1- les doctrines économiques néo-libérales. Ces doctrines ont évolué des années 1930 aux années 1970 et elles contiennent des préceptes normatifs, des préconisations de politiques économiques qui s’appuyent sur des théories économiques. Pour certains auteurs, ces doctrines s’appuyent aussi sur des fondements philosophiques.


Le vocable « néo-libéralisme » apparaît chez les économistes dans les années 1930 (G. Pirou, L. Baudin, L. Rougier) dans les discussions sur le renouvellement du libéralisme (cf 1e partie).  Des années 1950 aux années 1970, ce vocable sera utilisé de temps en temps par des économistes allemands (Alexander Rüstow), mais aussi par l’économiste autrichien Friedrich A. Hayek (Droit, législation et liberté) pour désigner à la fois l’ordo-libéralisme et l’économie sociale de marché. A partir des années 1980, le vocable de « néo-libéralisme » sert à désigner la résurgence d’un libéralisme radical, opposé au keynésianisme et à l’intervention de l’Etat. Il va être employé par des ultra-libéraux en Europe (par ex H. Lepage) et aux Etats-Unis pour désigner cette fois les idées de Friedman, d’Hayek et des « néo-autrichiens » comme I. Kirzner (S. Audier, op. cit., p. 372-373 et 588-589). Il va être utilisé aussi par des auteurs critiques comme René Passet (L’illusion néolibérale, Paris : Flammarion, 2001) pour désigner Hayek et Friedman (réhabilitation du laissez-faire), par opposition aux « libéraux de la grande tradition » tels que J. Rueff et M. Allais.


2- par ailleurs, il existe le discours « néo-libéral » purement idéologique, véhiculé dans les médias.


3- ensuite, nous avons les politiques économiques néo-libérales concrètes, mises en œuvre dans tel ou tel pays, à telle ou telle période historique, qui sont plus ou moins en rapport avec certaines doctrines.


4-Mais pour certains auteurs (David Harvey), le « néo-libéralisme » désigne le régime économique à l’ère de la mondialisation et de la globalisation financière. 5-Enfin, pour d’autres auteurs, se référant à Michel Foucault, le « néolibéralisme » est la raison du capitalisme contemporain, « l’ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel de la concurrence » , avec la figure de l’homme entrepreneur de lui-même.


Aujourd’hui, c’est le premier point qui va nous intéresser : les doctrines dites «  néo-libérales » des économistes au 20e siècle.

Trois parties :


I-Les hommes et les réseaux : la galaxie néo-libérale au XXe siècle


II - L’ordo-libéralisme en Allemagne, ou la théorie de l’interventionnisme libéral : le cas de Walter Eucken


III –Le libéralisme radical : le cas de Friedrich A. Hayek



I- Les hommes et les réseaux : la galaxie néo-libérale au XXe siècle

Nous présenterons d’abord une « revue des troupes » néo-libérales au cours du XXe siècle. Les premières formes de « néo-libéralisme » en économie ne sont pas apparues avec la création de la Société du Mont-Pèlerin (1947), mais dès les années 1930. On distinguera donc deux périodes marquantes : 1934-39 et 1944-1980.


1-1934-1939 : émergence d’un premier « néo-libéralisme » chez les économistes au plan international


La Première guerre mondiale, la grande crise des années 1930 et la montée des régimes totalitaires vont conduire certains économistes à reformuler les thèses libérales. On parle à l’époque de la crise du capitalisme, de la faillite du libéralisme économique, de la mort du « laissez-faire », et l’avenir semble être du côté de l’économie dirigée, du planisme ou du corporatisme. On donnera un aperçu de ce renouvellement pour les Etats-Unis et la France.


a)Les Etats-Unis


-La première école de Chicago (« Old Chicago School ») est représentée par Jacob Viner, Frank H. Knight (1885-1972) et surtout par son élève Henry Calvert Simons (1899-1946). Ce sont des économistes libéraux modérés, opposés aux économistes institutionnalistes et critiques du New Deal de Roosevelt.
En 1934, Henry C. Simons publie une petite brochure, A positive program for laissez-faire. Some proposals for a liberal economic policy (rééditée dans le recueil publié deux ans après son suicide, Economic policy for a free society, 1948). Henry C. Simons affirme que l’Etat doit maintenir le « cadre légal et institutionnel » dans lequel la concurrence peut fonctionner.

L’Etat doit :


1-maintenir les conditions de la concurrence dans l’industrie (activité de régulation) ; à noter ici, que l’on trouve la future distinction ordo-libérale entre action sur le cadre et action sur le processus et on ignore en général que cette brochure a influencé W. Eucken et les premiers ordo-libéraux allemands.


2-contrôler l’émission monétaire : Simons refuse la politique monétaire discrétionnaire et plaide pour l’instauration d’une règle pour contrôler la quantité de monnaie émise.


3-s’occuper de nombreuses « social-welfare activities » (1934, p. 3). (services médicaux, éducation…).


Simons critique les grands monopoles, le gigantisme industriel qui a conduit à la Grande Dépression et à la perte d’efficacité économique. Les grandes firmes, avec la rigidité de leurs prix, exploitent les consommateurs, menacent la démocratie et affaiblissent l’Etat. Le New Deal les a même renforcées. Simons affirme même que les monopoles privés, protégés par la loi, sont des « cancers malignes dans le système ». Dans sa brochure, il plaide pour l’interdiction des cartels, le contrôle des concentrations, l’abolition des holdings (sociétés de portefeuille), mais il critique aussi les grands syndicats de travailleurs qui ont un monopole de l’offre de travail, d’où des salaires trop élevés, cause de chômage. Dans les cas où la concurrence ne peut pas fonctionner correctement et en cas d’échec de la régulation, Simons préconise la nationalisation des monopoles naturels et des chemins de fer (1934, p. 11-12, 18, 22-23). Par ailleurs, il est favorable à l’instauration de l’impôt progressif pour réduire les inégalités de revenu et financer des services sociaux. Il souhaite la taxation des successions. Très logiquement, il s’opposera à l’ultra-libéralisme de L. Von Mises. La brochure de Simons sera critiquée plus tard par M. Friedman, G. Stigler et R. Coase (S. Audier, op. cit., 2012, p. 309 et 458).


Toujours aux USA, en dehors de la 1e école de Chicago :


-Walter Lippmann (1889-1974), journaliste, fait paraître en 1937, un livre important, The Good Society, traduit en français en 1938 sous le titre La Cité libre et préfacé par André Maurois. W. Lippmann combat fortement le collectivisme et les doctrines totalitaires sous ses différentes formes, mais il combat aussi ce qu’il appelle le collectivisme « progressif » ou « démocratique » qui se serait progressivement installé aux Etats-Unis depuis la fin du XIXe siècle et bien visible avec le premier New Deal de 1933 (A.A.Act et N.I.R. Act) et le second New Deal de 1935 (lois sociales). Lippmann s’oppose au « contrôle social » et à la planification des « newdealers »: selon lui, il est « impossible aux hommes de comprendre tous les processus de leur existence sociale » (1938, p. 52)  et « aucun esprit humain n’a jamais compris le plan complet d’une société » (op. cit., p. 54), car la connaissance n’est que partielle, locale (influence probable ici d’Hayek, auteur d’« Economie et connaissance » en 1937).


Mais dans un contexte où le libéralisme est discrédité, faut-il revenir au « laissez-faire, laissez-passer » ? Lippmann admire certes A. Smith, en particulier pour la division croissante du travail et sa régulation par le marché. Mais cette source de croissance a été une source de souffrances et de destructions humaines. La doctrine d’Adam Smith et des grands libéraux du XVIIIe siècle a servi à défendre beaucoup d’injustices et d’oppressions (1938, p. 15). Des auteurs comme Herbert Spencer (Man versus the State, 1884) sont des « apologistes de misères et d’injustices » (1938, p. 224) et défendent le statut quo.
Lippmann plaide pour un nouveau libéralisme :


-Il faut attaquer la source des revenus élevés venant des monopoles, des droits exclusifs sur la terre et les ressources naturelles (rentes), au moyen de l’impôt progressif (op. cit., p. 272-274).
-Il faut réduire les inégalités dans la répartition des revenus (sans nivellement) pour favoriser la classe moyenne et instaurer une certaine égalité des chances.
-Les recettes fiscales serviront à des dépenses publiques dans l’éducation, l’eugénisme, la conservation des terres et ressources naturelles, les travaux publics (transports, ports…), mais aussi certains services sociaux (système d’assurances sociales, mais pas d’allocations spécifiques pour les pauvres) (op. cit., p. 270-273). Et il se réfère aux politiques économiques préconisées par J. M. Keynes.  Il a d’ailleurs une grande admiration pour La fin du laissez-faire et pour la Théorie générale).


b)La France


Le livre de Lippmann suscite l’intérêt chez les libéraux européens, et tout particulièrement en France, puisqu’à Paris, en août 1938 (au siège de l’Institut international de coopération intellectuelle), sera organisé le « Colloque Walter Lippman », inauguré par le sulfureux Louis Rougier (philosophe anti-rationaliste) et Walter Lippmann en personne (sur ce colloque, voir les ouvrages de S. Audier (2008) et de F. Denord (2016)).  Ce colloque de cinq jours est l’occasion de confronter les points de vue :


1-des libéraux qui se disent « sociaux, tels  Louis Marlio (ingénieur et industriel modernisateur) ou « constructifs » ou « constructeurs » (Rougier), ou qui se revendiquent même du « libéralisme de gauche », comme Jacques Rueff (qui à l’époque, n’aime pas  l’étiquette « néo-libéral ») ; W. Lippmann est lui-aussi sur cette ligne.


2-des libéraux favorables au corporatisme, comme Louis Baudin, admirateur du régime politique de Salazar au Portugal ;


3-des ordo-libéraux allemands. Walter Eucken (cf 2e partie) n’a pas eu l’autorisation de quitter Fribourg. Viendront seulement Alexander Rüstow (réfugié à Istanboul) et Wilhelm Röpke (réfugié d’abord à Istanbul, puis à Genève à l’Institut universitaire des hautes études commerciales, financé par la fondation Rockfeller) ;


4-des libéraux autrichiens, de l’Ecole de Vienne, les « austro-libéraux », avec Ludwig Von Mises (conseiller économique du fasciste Dollfuss, il s’installe en 1934 à Genève et émigrera aux Etats-Unis en 1940) et son ancien élève Friedrich Von Hayek (qui enseigne à la London School of Economics de Londres depuis 1931 et a obtenu la nationalité britannique en 1938).
Les représentants de la première école de Chicago sont absents.


Lors de ce colloque, on constate un clivage important entre Lippmann et les ordo-libéraux d’une part et l’ultra-libéral Mises d’autre part, clivage que l’on retrouvera plus tard au sein de la Société du Mont-Pèlerin. Il est difficile de connaître la position précise d’Hayek au colloque car son intervention en anglais n’a pu être reconstituée. Cependant, il semble être sur des positions proches des « ordo-libéraux ».


A la fin du colloque, W. Lippmann énonce un « Agenda du libéralisme », dont la substance peut se résumer en deux points :


-la défense du mécanisme des prix sur des marchés libres et d’un régime juridique protégeant la propriété et les contrats ;


-un Etat libéral peut percevoir des impôts pour financer la défense nationale, l’enseignement, la recherche scientifique, mais aussi pour les assurances sociales et les services sociaux.
Du fait de la guerre, le colloque n’aura pas de prolongement immédiat. En 1938-39, Marlio dirigera un « Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme », dont la création est décidée au colloque Lippmann.


2-1944-1980: l’arrivée de nouveaux « néo-libéralismes »


Après la Seconde guerre mondiale, le contexte économique va changer. Dans les pays développés, la croissance sera forte jusqu’en 1973 (cf les « trente glorieuses ») et l’interventionnisme étatique ne soulèvera guère de contestation. Dans cette période, on constate l’émergence de nouveaux courants libéraux au plan international, mais il s’agit jusqu’aux années 1960 d’une « traversée du désert ». Cela changera à partir de la seconde moitié des années 1970.


En Angleterre, en 1944, Friedrich A. Hayek publie un pamphlet, La Route de la servitude, un pamphlet politique et idéologique, une attaque violente contre le socialisme sous toutes ses formes (marxisme et socialisme sont les sources du nazisme) et une volonté de réhabiliter le libéralisme classique. Il va multiplier les conférences pour faire connaître ses thèses. Mais, dans cette bataille des idées, Hayek estime qu’il faut compter sur les intellectuels, non pas les penseurs originaux, mais les « vendeurs d’idées de seconde main » (« second hand dealers in ideas »), qui jouent le rôle d’intermédiaires dans la transmission, la propagation des idées libérales (professeurs, journalistes, conférenciers, publicistes…). En avril 1947, il réussit à faire venir 37 libéraux à côté de Vevey en Suisse, pour fonder une association qui s’appellera la Mont-Pèlerin Society, qu’il va présider jusqu’en 1960. Hayek s’attribue le beau rôle, mais W. Röpke a joué un rôle aussi important au départ. C’est le moyen, avec l’aide de banquiers et industriels suisses (le fabricant de montres Albert Hunold) et de la fondation W. Volker aux Etats-Unis (dirigée par Harold Luhnow), de constituer un réseau international pour promouvoir le libéralisme et combattre l’étatisme, une sorte d’Internationale libérale, dans laquelle on trouve non seulement des économistes, mais aussi des philosophes, des chefs d’entreprises et des journalistes. À noter qu’en 1947, Karl Popper a tenté de convaincre Hayek d’élargir le cercle aux « socialistes libéraux », non marxistes, mais sans succès. Certains invités n’ont pu venir à cette conférence pour différents motifs (par exemple, Alexander Rüstow, Jacques Rueff et Walter Lippmann).


W. Eucken a participé aux deux premières conférences du Mont-Pèlerin (1947 et 1949), mais il meurt en 1950. En fait, dès 1949, les conflits des ordo-libéraux avec les membres de l’école autrichienne (Mises, le paléo-libéral, traitait les économistes allemands d’« ordo-interventionnistes » et même de « socio-démocrates » ). Ces conflits conduiront en 1961 au départ avec fracas de W. Röpke, puis en 1962 d’Alexander Rüstow. Si bien que la Société du Mont-Pèlerin finira par passer dans les années 1970 sous la domination de la 2e école de Chicago (cf infra). Friedman va présider la société de 1970 à 1972.


Hayek enseigne à Chicago de 1950 à 1962, mais il dispose de certains appuis au Royaume-Uni. Il va être associé aux activités de l’Institute of Economic Affairs, un think tank fondé en 1955 à Londres par Arthur Seldon et un industriel du poulet en batterie (Anthony Fisher). Cet institut va influencer le parti conservateur, grâce au député Keith Joseph, « théoricien du thatchérisme », qui diffusera les idées d’Hayek et de Friedman et deviendra le ministre de l’économie de M. Thatcher.


Aux Etats-Unis, à partir des années 1950, l’Université de Chicago va peu à peu devenir un foyer important de l’ultra-libéralisme : la 2e Ecole de Chicago. En 1951, Friedman (ex-élève de F. Knight et de J. Viner) se trouvait encore sur les positions d’H. Simons et de l’ordo-libéralisme et il se réclamait du « néo-libéralisme » des années 30, dans son article intitulé « Neoliberalism and its propects » (Farmand, 17 février 1951). Il radicalise ensuite ses positions dans ses conférences de 1956, financées par la fondation Volker dans le cadre du « Free Market Project », qui seront publiées plus tard sous le titre Capitalisme et liberté (1962).


Friedman défend l’idée selon laquelle l’Etat est un « mal nécessaire », (un « expédient ») qui limite la liberté individuelle et qui doit se limiter aux fonctions régaliennes : défense, justice (protection des droits de propriété). Les interventions étatiques pour défendre les consommateurs, protéger l’environnement ralentissent la croissance (La Liberté de choix). L’Etat n’a pas à s’occuper d’enseignement et il est préférable de verser aux familles des chèques éducation. Friedman propose l’impôt négatif (allocation pour les personnes en dessous d’un seuil de revenu et l’impôt proportionnel (par ex, 15 %, au-dessus d’un minimum d’exemption). Mais il est davantage célèbre pour sa critique des politiques keynésiennes et pour son « monétarisme », qui lui vaudra en 1976 le Prix Nobel d’économie de la Banque de Suède. Il a influencé une série d’économistes tels que Gary Becker, et plus tard, dans les années 1980, Robert Lucas.


Il existe aussi, aux Etats-Unis, l’école du « public choice » (ou école de Virginie) fondée par James Buchanan et Gordon Tullock (The calcul of consent, 1962. La thèse centrale de cette école est simple : les défaillances du gouvernement sont supérieures aux défaillances du marché. Un prolongement de l’école du public choice, sera l’« économie politique constitutionnelle » (Constitutional economics) avec J. Buchanan (Les limites de la liberté, 1975). Buchanan recevra le prix Nobel de la Banque de Suède en 1986.


Dans la seconde moitié des années 1970, les thèses de la 2e école de Chicago et du « Public choice » seront importées en France par une douzaine d’économistes, que l’on va vite appeler les « nouveaux économistes » (Florin Aftalion, Jacques Garello, Henri Lepage, Jean-Jacques Rosa, Pascal Salin…).


Côté français, après la 2e guerre mondiale, on trouve deux ingénieurs-économistes qui rejettent le libéralisme de Manchester, l’ordre spontané du marché et défendent la construction européenne: Rueff et Allais.


En 1958, Jacques Rueff (1896-1978), polytechnicien, haut fonctionnaire, devient le conseiller économique du général De Gaulle. Auteur de L’Ordre social (Paris : Sirey, 1945), il est connu pour sa critique de Keynes. Dans les années 1958-59, il se réclame maintenant du « néo-libéralisme » et du « libéralisme social ». Il refuse les interventions étatiques incompatibles avec le mécanisme des prix (prix minimum ou maximum, salaire minimum…). Il affirme : « Le marché institutionnel est ainsi l’aboutissement et le couronnement de l’effort de rénovation de la pensée libérale, qui a pris naissance il y a une vingtaine d’années, qui, sous le nom de néo-libéralisme ou de libéralisme social, voire de socialisme libéral, a pris conscience, progressivement, de ses aspirations et des méthodes susceptibles de les satisfaire, pour se reconnaître finalement dans les formules communautaires de la CECA et dont celle de la Communauté économique européenne sera, demain, l’application généralisée ». En effet, depuis les années 1930, Rueff est un ardent défenseur de la construction européenne au plan économique. L’espace économique européen doit être conçu, selon lui, comme un « marché institutionnel », qui ne correspond pas au laissez-faire et n’est pas une zone de laissez-passer intégral (S. Audier, op. cit., 2012, p. 498-499), d’où des autorités de régulation et des interventions directes pour remédier aux inconvénients, faciliter la transition.


Maurice Allais (1911-2010), ami de L. Rougier, admirateur de W. Lippmann, se réclame lui-aussi du « néo-libéralisme », de la « troisième voie ». Il est le seul participant à la réunion du Mont-Pèlerin en 1947 à refuser de signer la déclaration finale, car elle affirmait la supériorité de la propriété individuelle sur la propriété collective (S. Audier, op. cit., p. 269-270 ; F. Denord, 2016, p. 284). En 1950, il veut aller « au-delà du laisser-fairisme et du socialisme » et plaidera même pour un « planisme concurrentiel ». Il croit même à une synthèse entre libéralisme et socialisme, un « socialisme libéral ». Favorable à la construction européenne, Allais va cependant critiquer le libre-échange généralisé qui est accepté en Europe. Pour lui, le libre-échange n’est valide qu’entre des pays dont le développement économique est comparable (des ensembles régionaux cohérents). Il plaide à la fin du XXe siècle pour une « protection raisonnable » de l’Europe vis-à-vis de l’extérieur, une « préférence communautaire » (S. Audier, op. cit., p. 604-605). Il a reçu le Prix Nobel de la Banque de Suède en 1988.

II - L’ordo-libéralisme en Allemagne, ou la théorie de l’interventionnisme libéral : le cas de Walter Eucken

Le vocable « ordo-libéralisme » apparaît en 1950 (forgé par H. Moeller), en lien avec la revue allemande Ordo, publiée par Eucken et ses amis.


Walter Eucken (1891-1950) est un grand personnage en Allemagne ; en 2016, à l’occasion du 125e anniversaire de sa naissance, à l’Institut Walter Eucken (fondé en 1954), Angela Merkel viendra, prononcer un discours d’éloge.


Walter Eucken obtient une chaire à la faculté de droit de l’Université de Fribourg-en-Brisgau en 1927, où il enseignera jusqu’à sa mort. Le régime nazi le maintiendra en poste, mais sous haute surveillance. En 1940, il publie les Fondements de l’économie politique (Grundlagen der Nationalökonomie). Deux ans après sa mort, paraît en 1952 les Principes de politique économique (Grundsätze der Wirtschaftspolitik). Avec Franz Böhm (à l’Université de Fribourg de 1933 à 1936), il représente l’Ecole de Fribourg au sens très strict. A cette école, on rattache en particulier Alexander Rüstow et Wilhelm Röpke, qui apportent une approche à la fois économique et sociologique à l’ordo-libéralisme.


1- Tout d’abord, Eucken et les ordo-libéraux font la critique du « libéralisme ancien », le « paléo-libéralisme » (Rüstow, 1950) ou « libéralisme de Manchester ». W. Röpke critique « le darwinisme social du laissez-faire, qui s’en rapporte à l’individu pour vaincre les inégalités de l’existence et s’en remet au choix automatique des individus les plus aptes – the survival of the fittest ».


Eucken et ses amis critiquent Bernard de Mandeville (Fable des abeilles) et même Adam Smith, dont la pensée aurait généré l’illusion du laissez-faire. Le libéralisme classique a, certes, réussi à libérer les hommes des chaînes de la société pré-industrielle, à éliminer les privilèges, à introduire la liberté économique, à faire reculer l’Etat du fonctionnement des marchés. Mais ce libéralisme n’a pas permis de garantir un ordre libéral à long terme. Il a même conduit paradoxalement à réaliser certaines prédictions de Marx : à savoir l’instabilité économique, les crises de surproduction (années 1930), les inégalités trop fortes de revenus, la réduction de la concurrence et la concentration du capital (monopoles et cartels – les cartels sont devenus obligatoires sous le Nazisme).


2- En second lieu, selon Eucken et ses amis, le libre jeu du marché et ses défauts conduit aussi à l’intervention croissante de l’Etat, à un dirigisme de plus en plus accentué (par la recherche du plein emploi à tout prix), qui constitue des menaces pour les libertés.


Rüstow parle d’« interventionnisme libéral », et Eucken et Röpke parleront quelquefois de « troisième voie » (Dritter Weg), de « troisième chemin », entre d’une part, le libéralisme classique et d’autre part le nazisme et le communisme.


La doctrine ordo-libérale a pour objectif de fonder un ordre fonctionnel de l’économie, de la société. Il s’agit d’un ordre politico-économique efficient, qui respecte la justice sociale (un idéal de société). On a affaire à une perspective holiste, car pour les ordo-libéraux, contrairement à ce que pensaient les économistes libéraux classiques, l’ordre du marché n’est pas un phénomène naturel, n’est pas un ordre spontané. Cet ordre ne peut pas s’instaurer spontanément, il est construit (Michel Foucault, dans Naissance de la biopolitique, insiste beaucoup, à juste titre, sur ce point). Selon les ordo-libéraux, la raison humaine démontre scientifiquement la supériorité de certaines institutions sur d’autres et elle choisit les meilleures, définit le champ d’application de l’intervention de l’Etat. Donc, on a affaire à un ordre construit par la raison, donc par des experts, des économistes, qui connaissent les bonnes règles du jeu. L’ordre du marché, de la concurrence, est un ordre construit, constitutionnel, caractérisé par un cadre juridique. En effet, le processus du marché fonctionnera bien ou mal, selon la nature du cadre juridique et institutionnel dans lequel il s’opère.


Walter Eucken affirme: « L’Etat doit influencer les formes, le cadre institutionnel, l’ordre dans lequel on agit économiquement et il doit établir les conditions du développement d’un ordre économique fonctionnel et respectueux des droits humains. Mais il ne doit pas cependant guider lui-même le processus économique », les activités économiques. Il faut clarifier cette citation :


1- L’Etat doit intervenir sur le cadre du système économique et mettre en place une « constitution économique ». En effet, pour Walter Eucken, dans l’idéal, il faudrait faire voter par les citoyens une véritable « constitution économique » en même temps que la constitution politique. (Notons que cela n’a pas été le cas de la « Loi fondamentale » de la RFA, 1949). Cette « constitution économique » renvoie à plusieurs éléments :


- le cadre juridique et institutionnel (droit de la propriété industrielle, droit des sociétés, droit des faillites, etc.) ;


- mais aussi les règles communes à tous les agents, les conventions et les traditions informelles qui gouvernent les activités économiques dans une société donnée.


2- Mais l’Etat doit ensuite entretenir ce cadre institutionnel, et les règles du jeu de cet ordre économique libre. En effet, la « constitution économique » n’est donc pas un cadre figé une fois pour toute ; il faut l’entretenir, la mettre à jour. C’est la tâche de la « Ordnungspolitik » (politique de l’ordre ou politique ordonnatrice, ou politique constitutionnelle).


2- Le processus économique est le domaine privilégié de l’initiative et de la liberté de l’individu. Il est soumis au mécanisme des prix. L’Etat ne doit pas diriger le processus économique. Il risquerait en effet de fausser les conditions de la concurrence et de la formation des prix. Cependant, pour Eucken, une action limitée de l’Etat sur le processus est permise, pour éliminer certains obstacles qui s’opposent à la concurrence. C’est le domaine de la politique régulatrice (« Prozesspolitik »).


Comment s’articulent alors ces deux types de politique économique ? (politique ordonnatrice (sur le cadre) et politique régulatrice (sur le processus)). Walter Eucken va distinguer, d’une part des « principes constituants » (ou « constitutifs »), et d’autre part, des « principes régulateurs ».


a) Les « principes constituants » sont surtout des principes juridiques (cf la politique ordonnatrice): agir sur le cadre, la constitution économique. Quelques exemples de « règles du jeu » :


1- Primauté de la stabilité monétaire. Les ordo-libéraux expriment une très grande crainte vis-à-vis de l’inflation, compte tenu de l’hyperinflation allemande de 1922-23. La politique monétaire est essentielle et elle doit être indépendante du pouvoir politique. Les responsables de la Bundesbank, créée en 1957, ont été des disciples de l’ordo-libéralisme. C’est le cas, par exemple, de son dernier président (1993-1999), Hans Tietmeyer (1931-2016), un ancien élève d’Alfred Müller-Armack.


2- Principe de marchés « ouverts » en termes d’offre et demande : libre accès au marché national et international. Absence de toute restriction du commerce intérieur et extérieur (licences, droits protecteurs) et aux mouvements des facteurs de production.


- Défense du droit de propriété privée des moyens de production, fondement de l’intérêt personnel : il s’agit de la condition d’un ordre concurrentiel (« Wettbewerbsordnung ») efficace.

Mais, l’Etat peut détenir quelques entreprises publiques adaptées au marché, sans bénéficier de subventions.


b- les « principes régulateurs » (cf la politique régulatrice) : action  limitée sur le processus économique. Ces « principes régulateurs » visent à empêcher toute dérive de l’ordre concurrentiel dans une direction non désirable pour la société. Il s’agit donc de remédier à un certain nombre de « défaillances » du marché.

Des exemples à ce propos :


1- Politique de la concurrence (surveillance des marchés) : en effet, le cadre juridique des marchés n’empêche pas l’apparition d’entreprises monopolistes et il est nécessaire de créer un « Office autonome des monopoles et des cartels » pour dissoudre certains monopoles et casser les accords de cartel entre les firmes. En RFA, seulement en 1957, création de l’Office fédéral des cartels, puis loi de 1973 sur le contrôle des concentrations industrielles. Selon les ordo-libéraux, la concurrence sans entrave génère des dérives du côté des producteurs : ils peuvent défendre leurs intérêts en créant des accords de cartels, qui doivent être combattus. Or, les seuls intérêts économiques que l’on peut justifier sont ceux des consommateurs. Il faut réaliser autant que possible la souveraineté des consommateurs (un plébiscite démocratique !).


Dans les écrits des ordo-libéraux (Eucken, Röpke), on trouve une critique du gigantisme industriel, de l’urbanisation excessive, de la « massification » des travailleurs et un plaidoyer pour des entreprises à taille humaine (un discours anti-moderne).


Dans le cas particulier des monopoles naturels (gaz, électricité, eau…), Eucken estime qu’ils doivent être dirigés directement par l’Office des monopoles « à la manière de la concurrence », notamment en matière de prix. Mais tous les ordo-libéraux ne sont pas d’accord ici (Röpke et Rüstow préfèrent leur nationalisation et la création d’entreprises publiques).


2- Des interventions pour la protection de l’environnement (Eucken déplore la déforestation en Amérique, la pollution des industries chimiques en Europe), mais selon lui, il faut aussique l’Etat légifère en matière de conditions de travail: sur la durée du travail, sur le travail des femmes et des enfants. Le travail n’est pas une marchandise comme les autres pour Eucken et les ordo-libéraux. Les syndicats ont un rôle positif quand les travailleurs sont en position défavorable vis-à-vis des entrepreneurs. Eucken admet un salaire minimum pour empêcher les baisses de salaires dans certains cas.


3- Walter Eucken accepte une politique sociale de redistribution des revenus en faveur de certaines catégories (vieillards, malades, handicapés, etc.), qui n’ont de revenus décents. Donc, une politique sociale, mais non généralisée à toute la population et qui fonctionnerait uniquement à partir de certains seuils. Ici, Eucken accepte la mise en place d’un impôt progressif sur les revenus et sur les successions pour financer cette aide sociale. Evidemment, la progressivité de cet impôt doit être faible.  W. Röpke n’accepte pas l’impôt progressif sur les revenus, mais uniquement sur les successions (Civitas humana, Paris : L. de Médicis, p. 255). Mais certains ordo-libéraux refusent l’impôt progressif. Donc, finalement, la libre concurrence n’est pas incompatible avec une certaine justice sociale, grâce à la politique sociale « compensatrice ».


On remarquera que ni dans les « principes constituants », ni dans les « principes régulateurs » d’Eucken ne figurent l’équilibre budgétaire ou une règle budgétaire . Mais dans un texte de 1923, Eucken défendait l’idée selon laquelle il faut éviter les déficits budgétaires qui sont générateurs de pressions inflationnistes. Selon lui, la politique conjoncturelle doit être une politique de stabilité et ne doit pas surréagir face au cycle, éviter les politiques de « plein emploi » à tout prix. Eucken critiquera lui-aussi les politiques keynésiennes. Au fil du temps, d’autres ordo-libéraux s’intéresseront davantage à la question de la politique budgétaire.


On voit que l’Ecole de Fribourg rejette la conception de l’Etat minimal. L’Etat a un rôle capital à jouer dans la création et l’entretien des règles et des institutions qui permettent au marché concurrentiel de fonctionner efficacement. Eucken, Rüstow et Röpke parlent d’un « Etat fort », qui résiste aux divers intérêts économiques organisés, dégagé de tout soutien à des intérêts de classes et qui maintient la liberté des marchés.


Après la chute du régime nazi, et avant même la proclamation de la République fédérale d’Allemagne, avec la réforme monétaire qui introduit le DM en 1948, l’ordo-libéralisme et les idées de Walter Eucken vont influencer fortement le système économique allemand. Cette influence s’est fait sentir à travers ce qu’on a appelé l’« Economie sociale de marché » (formule inventée en 1946 par Alfred Müller-Armack). Mais, l’expérience allemande d’« Economie sociale de marché » après la guerre n’est pas la traduction « politique » et pratique intégrale de l’ordo-libéralisme. Le système économique ouest-allemand constitue un système hybride, dans lequel on trouve aussi bien des applications de préceptes ordo-libéraux et des applications proposées par l’Eglise protestante dès 1950 : par exemple, la « co-gestion » (« Mitbestimmung ») dans les entreprises avec les lois d’avril 1951 et d’octobre 1952. En outre, les ordo-libéraux, pourtant hostiles à l’« Etat social », à l’Etat-Providence, qu’ils considèrent comme un système qui déresponsabilisent les individus, n’ont pas pu détruire le système d’assurances sociales qui existait de longue date en Allemagne (cf Bismarck dans les années 1880).


Ceci dit, vers la fin du XXe siècle, des héritiers de l’ordo-libéralisme vont affirmer que l’« économie sociale de marché » qui a fonctionné jusqu’à présent donne des « signes de faiblesse », compte tenu de son modèle social trop généreux et de son manque de compétitivité. Ils vont alors appeler à l’instauration d’une «nouvelle économie sociale de marché » plus compétitive face à la concurrence mondiale. C’est le cas par exemple d’Hans Tietmeyer (Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 402).


Par ailleurs, l’ordo-libéralisme allemand a constitué, dans un premier temps, une sorte de « tradition cachée » de l’Europe, puis va devenir à partir des années 1980 la doctrine de référence des élites gouvernementales de l’Union européenne. En effet, les responsables européens ont donné à la construction européenne une logique qui était inspiré par les principes de l’ordo-libéralisme. Dès 1955, Ludwig Erhard (ministre de l’économie de la R.F.A.) écrit que l’Europe doit surtout viser l’« intégration fonctionnelle », c’est-à-dire la libéralisation généralisée des mouvements de marchandises et de capitaux, ainsi que la convertibilité des monnaies nationales, plutôt que la création d’institutions supra-nationales (P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte, 2009, p. 344). Alfred Müller-Armack a participé à la rédaction du Traité de Rome (1957). Ce traité stipule qu’il est établi un « régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun ». A la direction « Ententes et monopoles » de la CEE (Europe des 6), on placera un ordo-libéral allemand, Hermann Schumacher. Toutefois, durant les années 1960 et 1970, la politique de la concurrence en Europe n’a pas été fidèle aux principes ordo-libéraux. On favorisait plutôt les concentrations industrielles pour former des grands groupes face à la concurrence américaine, les « champions nationaux » et on tolérait les accords de cartels entre certaines grandes firmes. C’est seulement à partir de 1985, avec l’introduction du « marché unique » que l’on est revenu à l’application des principes ordo-libéraux ; depuis 1989 (« Règlement sur les concentrations »), le contrôle des fusions a été instauré par la Commission européenne.


Si l’on se reporte au Traité de Maastricht (1992), il apparaît que la création d’une Banque centrale européenne indépendante avec un objectif, presque exclusif, de stabilité des prix est conforme à l’ordo-libéralisme. Cela a été rappelé par Mario Draghi dans son discours du 18 juin 2013.  Il en est de même des règles régissant les politiques budgétaires nationales, qui doivent éviter les stabilisations conjoncturelles de type keynésien (sauf circonstances exceptionnelles), avec le « Pacte de stabilité et de croissance ». Le projet de Constitution européenne en 2005 était un projet d’inspiration ordo-libérale: dans ce traité, on visait à constitutionnaliser l’économie de marché (une constitution économique avec le P.S.C au sein même d’une constitution politique). Certains disciples de l’ordo-libéralisme en Allemagne ont néanmoins critiqué le PSC révisé et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG ou « pacte budgétaire ») adopté en 2012, au motif qu’il ne contiendrait pas de règles suffisamment strictes et il permettrait en pratique des marchandages politiques pour éviter les sanctions. Toutefois, à partir des années 1980, c’est sous la pression des dérèglementations américaines que la Direction de la concurrence a impulsé la dérèglementation des grands services publics (eau, gaz, électricité, transports ferroviaires et aériens).


III – Vers le libéralisme radical : le cas de Friedrich A. Hayek

Friedrich A. Hayek (1899 – 1992) a été formé à l’Université de Vienne et, dans les années 1920, il a trouvé en L. Von Mises un mentor. En 1931, il est invité par Lionel Robbins pour venir enseigner à la London School of Economics de Londres. Il y enseignera jusqu’en 1950. On le considère souvent comme un auteur qui aurait défendu durant toute sa vie des idées ultra-libérales. Cette thèse est erronée. En effet, dans La Route de la servitude (1944), Hayek ne condamne pas toute politique sociale. Au chapitre 9, il trouve acceptable la règlementation du travail, la limitation de la durée du travail. Il estime aussi que l’Etat doit assurer un « minimum vital » de subsistance à chaque individu pour lui permettre de se nourrir, de se vêtir, de se loger : un « revenu minimum » dont les modalités pratiques restent à définir. De plus, à cette époque, il est favorable à un système d’assurances sociales pour couvrir les risques de maladie, accidents, et catastrophe naturelle (trad. française, PUF, p. 34). Mais il s’oppose au « planisme de la sécurité », à un système complet d’Etat-Providence, comme celui mis en place au Royaume-Uni par W. Beveridge (1942). Par ailleurs, Hayek admet l’existence de monopoles « inévitables » (chemins de fer, transports aériens, gaz, électricité…). Dans son premier discours à l’assemblée du Mont-Pèlerin, en 1947, « Free entreprise and competitive order » (in : Individualism and economic order, 1948), Hayek semble proche de l’ordo-libéralisme. En effet, il utilise la notion d’« ordre concurrentiel (competitive order)» ; pour lui, l’Etat doit établir le cadre législatif pour rendre la concurrence efficace. Il critique même les grandes sociétés par actions.


En 1950, Hayek s’installe aux Etats-Unis. Il va enseigner les sciences sociales à l’Université de Chicago sur un poste financé par l’industriel Harold Luhnow (fondation Volker), mais pas dans le département d’économie, qui a refusé de l’embaucher. C’est à Chicago qu’il rédige en 1957 le manuscrit de La Constitution de la liberté (1960) dans lequel il va radicaliser ses positions libérales. En 1962, il obtient un poste à l’Université de Fribourg, dans la faculté où avait enseigné W. Eucken – mais non sur sa chaire - , motivé en partie, comme le dira plus tard, par la perspective d’une meilleure pension de retraite !  L’arrivée d’Hayek dans cette faculté rend furieux un ordo-libéral comme Alexander Rüstow . C’est à Fribourg qu’Hayek rédige jusqu’en 1969 l’essentiel du gros manuscrit qui sera publié plus tard en trois volumes entre 1973 et 1979, Droit, législation et liberté. De 1970 à 1977, il décide, là encore pour améliorer ses revenus et sa retraite, d’aller enseigner en Autriche à l’Université de Salzburg. Entre-temps, en 1974, il reçoit le Prix Nobel de la Banque de Suède (ex æquo avec un socialiste suédois, Gunnar Myrdal). Mais l’expérience à Salzbourg est malheureuse pour lui (les étudiants le fuient comme la peste) et finalement en 1977 il obtient une réintégration exceptionnelle à l’Université de Fribourg. C’est à nouveau dans cette ville qu’il rédige son dernier livre, La présomption fatale (1988).


Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, s’est exprimée à plusieurs reprises au sujet de sa dette intellectuelle envers Hayek. Un jour, à la Chambre des Communes, en février 1981, elle déclare : « Je suis une grande admiratrice du professeur Hayek. Il serait bien que les honorables membres de cette Chambre lisent certains de ses livres, La Constitution de la liberté, les trois volumes de Droit, législation et liberté. » Hayek prodigue des conseils à Thatcher, mais celle-ci n’est pas toujours d’accord avec les idées de son mentor, notamment au sujet de la politique de Pinochet.


La doctrine d’Hayek s’appuie sur des fondements philosophiques


1-La « mauvaise » et la « bonne » tradition philosophique


Hayek estime qu’il existe deux traditions philosophiques, une « mauvaise »  et une « bonne ».
Tout d’abord, il existe une « mauvaise » tradition intellectuelle, notamment française qui remonte à Descartes (la raison pure peut construire un nouveau monde) dans laquelle on trouve les Physiocrates, mais aussi les encyclopédistes : Voltaire, J.-J. Rousseau, jusqu’à Condorcet. Seul Montesquieu est épargné dans ce massacre. On trouve aussi dans la mauvaise tradition les penseurs de la Révolution française, de la « démocratie collective », qui seraient les pères spirituels du socialisme du XIXe siècle (Saint Simon étant lui-même le père de tous les socialistes), puis Auguste Comte et le positivisme (« scientisme »). Dans cette mauvaise tradition, selon Hayek, pour l’Angleterre figurent aussi J. Bentham et les utilitaristes comme J. S. Mill. Toute cette tradition philosophique cherche à promouvoir le remodelage complet de la société, avec un mépris de la tradition, de la coutume et de l’histoire. Il s’agit de la perspective du « rationalisme constructiviste ». Ici, ces mauvais libéraux se réfèreraient à un « ordre délibéré » global, un ordre construit (taxis), fabriqué par les desseins des hommes, le résultat d’une volonté consciente (on pourrait remodeler la société).


A noter qu’à la L. S. E., Lionel Robbins, dans un compte rendu de la Constitution de la liberté, critique longuement le classement des utilitaristes anglais du XIXe siècle dans la « mauvaise » tradition.


Quelle est maintenant la « bonne » tradition philosophique, selon Hayek ? Elle est représentée par John Locke, puis Bernard de Mandeville et les philosophes écossais comme David Hume, Adam Ferguson, Adam Smith (main invisible) et plus tard Edmund Burke. Dans le prolongement, au XIXe siècle en France, au plan du libéralisme politique, il faut mentionner Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville. C’est la voie du « rationalisme critique », de la tradition de l’« ordre spontané ». Ici, Hayek se réfère au philosophe écossais Adam Ferguson, qui affirmait que les institutions sociales sont le produit de « l’action de l’homme mais non de son dessein » (d’un but préétabli). L’histoire n’a pas de sens ; elle se fabrique au jour le jour.


2-La supériorité de l’ordre spontané


L’« ordre spontané »  est un ordre auto-généré, auto-régulé, auto-organisé, issu des pratiques humaines, le résultat d’un long processus de maturation à partir d’expériences, d’apprentissages, d’essais et d’erreurs. L’ordre spontané s’appuie uniquement sur des règles de conduite simples qui, soit surgissent spontanément comme la morale ou la coutume, soit sont créées par le droit privé. Les règles de l’ordre spontané sont des règles de juste conduite générales, souvent inconscientes. Ces règles (peu définies par Hayek) se formulent sous forme d’interdictions de certaines actions, pour éviter les conflits et faciliter la coopération entre les individus (défense de la propriété, respect des promesses…). Ces règles ne relèvent pas d’une justice des droits naturels ; elles sont le produit de l’évolution et d’une sélection analogue à la sélection naturelle (« la conception de base de l’évolution est la même dans les deux domaines » - biologie et société), Mais Hayek précise que la sélection agit sur les institutions et pratiques sociales (plutôt que sur les individus) et la transmission des caractères se fait par la culture (plutôt que par l’hérédité) (Droit, législation et liberté, Paris : P.U.F., dorénavant DDL, tome 1, 1980, p. 26-27).


Le marché constitue l’emblème de l’ordre spontané, celui qui a réussi à obtenir l’universalité (DLL, tome 2, 1982, p. 136). Une thèse diamétralement opposée à celle de Karl Polanyi (cf rôle de l’Etat pour former les marchés). Selon Hayek, chaque agent économique perçoit des signaux de l’environnement, c’est-à-dire du « système des prix ». Il élabore son plan individuel de production (s’il est producteur) ou de consommation (s’il est consommateur), en tentant de coordonner les fins et les moyens, et il manifeste un comportement de marché par ses achats ou par ses ventes à des prix déterminés, ce qui génére des signaux à l’environnement. Les signaux des prix transfèrent de manière efficiente des informations qui permettent aux individus de s’adapter aux circonstances changeantes. Le « système des prix » est assimilé à un « système de télécommunication ». Hayek parle aussi de la « concurrence comme procédure de découverte », grâce à laquelle on découvre des opportunités, des combinaisons non encore utilisées.


Hayek va combattre la législation anti-trust, anti-monopole. Dès 1948, dans « The meaning of competition », il affirmait qu’« un monopole fondé sur l’efficacité supérieure », « fait relativement peu de mal tant il est assuré qu’il disparaîtra dès qu’un autre devient plus efficace pour satisfaire les consommateurs ». Plus tard, dans Droit, législation et liberté (tome 3), il dira qu’il n’existe aucun critère économique pour déterminer si une firme est trop grande et que contraindre des entreprises monopolistes à des choix de prix de vente en opposition à leur intérêt est contraire à la liberté. Les pratiques de monopole découlent du principe de la propriété privée. La concentration industrielle est le résultat d’un processus de sélection efficace des firmes les plus innovantes. C’est seulement quand le monopole a perdu sa supériorité économique et qu’il cherche à conserver sa position, qu’il devient nuisible. De même sont condamnables les collusions entre les firmes, les cartels. Mais pour Hayek, ce sont les monopoles syndicaux qui sont les plus dangereux ! Il condamne ces « intérêts organisés ». Pour lui, c’est la cause du déclin économique de l’Angleterre et il a recommandé à M. Thatcher de lutter contre le pouvoir syndical avant de lutter contre l’inflation (voir sa brochure de l’Institute of Economic Affairs, 1980s Unemployment and the Unions,1980).


Hayek a donc une conception du marché et de la concurrence très différente de celle proposée par les ordo-libéraux allemands (Eucken). Et Hayek l’a bien vu. Dans « The rediscovery of freedom : personal recollections » (1983-92), Hayek affirme : « La mouvance ‘Ordo’…. n’aura été, disons-nous, qu’un libéralisme resteint (restrained liberalism) ». Par ailleurs, il affirme aussi que la notion d’« économie sociale de marché » est « extrêmement trompeuse et nuisible » et constitue même « un véritable danger dissimulant des aspirations qui n’ont absolument rien à voir avec l’intérêt de la collectivité » (sans préciser lesquelles !).


3-Critique de l’Etat providence et de la justice sociale.


Hayek s’est rendu célèbre pour sa critique du « Welfare State », de l’État Providence, qui apparaît déjà dans La Route de la servitude (1944). Dans ses écrits ultérieurs, il radicalise son point de vue dans La Constitution de la liberté (1960) et dans Droit, législation et liberté (1973-79).


Hayek critique le système de l’État providence, non pas parce qu’il aurait généré des déficits publics excessifs, mais dans ses fondements. Selon lui, l’introduction de ce système dans les sociétés occidentales brouille les frontières entre l’ordre spontané et l’ordre délibéré, et aboutit à un régime « mixte » dangereux. En effet, les interventions de l’État sur le terrain social postulent une « transparence » et une connaissance globale objective de la société, de la part des hommes politiques et de leurs conseillers économiques, de leurs experts. Or, cette connaissance globale est impossible.


Dans Droit, législation et liberté, Hayek se livre à une attaque du « mirage de la justice sociale « qui n’est qu’une « superstition quasi religieuse » (tome 2, 1982, p. 80). De plus, « c’est réellement le concept de ‘justice sociale’ qui a servi de cheval de Troie à la pénétration du totalitarisme » (tome 2, 1982, p. 164). Hayek estime même que le plus grand service qu’il puisse rendre à ses contemporains est de faire en sorte qu’ils finissent par éprouver de la honte à se servir du vocable de « justice sociale » (DLL tome 2, 1982, p. XII). Selon Hayek, la notion de « justice sociale » est identifiée depuis J. S. Mill à celle de justice distributive, qui consiste à réduire les inégalités par une procédure qui revient à prélever sur les plus riches pour verser aux plus pauvres. Or, dans une société véritablement libérale, il est impossible de déterminer à l’avance ce qui serait « socialement juste » et ce qui serait « socialement injuste », si bien que le concept même de « justice sociale » est vide de sens. En effet, dans une société libre, ce qui est « juste » est seulement la manière dont la concurrence doit être pratiqué, c’est à dire les règles de juste conduite des individus (voir supra). La justice ne concerne que la conduite des individus et ne se réfère pas à des principaux moraux ou à des actions à réaliser par le gouvernement.


Le marché, le « jeu de la cattalaxie », est un processus impersonnel, aveugle, dont les résultats ne sont, ni voulus, ni prévus, et donc ne sont ni justes, ni injustes. Les profits ou pertes des participants au processus de marché viennent pour une part du hasard (une loterie, un casino), pour une autre part, des compétences, des observations plus ou moins bonnes des signaux du système des prix, ce qui n’a rien à voir avec la justice. Hayek affirme : « (…) La liberté est inséparable d’un type de rémunération qui n’a fréquemment aucun rapport avec le mérite, et que de ce fait est ressenti comme injuste. » (DLL tome 2, 1982, p. 145), alors que cela n’a rien à voir avec la justice. Il faut donc accepter son sort !


    Hayek s’oppose donc à l’égalité des conditions, à l’« égalité des chances », à l’« égalité au départ » (DDL, tome 2, 1982, p. 101-102). L’Etat n’a pas le droit d’égaliser les chances par des mesures redistributives (un « cauchemar »). Il n’y a que l’égalité devant la loi.


Dans le cadre de cette critique de la « justice sociale », nous trouvons le refus des « droits sociaux et économiques ». Or, en 1948, la « Déclaration universelle des droits de l’homme », acceptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, a pris en compte l’existence de « droits sociaux et économiques ».


Ce texte fait l’objet de critiques virulentes de la part d’Hayek.  En effet, dans l’appendice au chapitre 9 de Droit, législation et liberté, Hayek affirme à propos de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » : « Ce document est ouvertement une tentative pour fusionner les droits de la tradition libérale occidentale avec la conception entièrement différente dérivée de la Révolution marxiste russe » (DLL tome 2, 1982, p. 124). Selon Hayek, cette « Déclaration universelle des droits de l’homme » ouvrirait la voie à des concessions sans limites aux dirigeants syndicalistes. Quels sont les articles visés de la Déclaration? En particulier les articles 22, 23 et 24. L’article 22 dit que chacun a doit aux conditions nécessaires « pour sa dignité et le libre développement de sa personnalité ». L’article 23 note que les hommes ont droit à « de justes et favorables conditions de travail » et à un « juste et favorable emploi ». L’article 24 indique que les hommes ont droit à « une juste et favorable rémunération, y compris une raisonnable limitation des heures de travail et des congés périodiques payés ». Hayek ironise même sur ce thème : « L’idée d’un ‘droit universel’ qui assure au paysan, à l’Esquimau et qui sait aussi à l’Abominable Homme des Neiges, des ‘congés payés périodiques’ montre l’absurdité de toute l’affaire» (DLL, tome 2, 1982, p. 126).


4-Réduire le poids de l’État dans l’économie


Hayek s’est livré à la critique des politiques keynésiennes de plein emploi, coupables de produire l’inflation. Selon lui, au cours du XXe siècle, le « secteur public » entendu au sens large tend à s’accroître inexorablement dans les sociétés occidentales, parce que les gouvernements définissent d’abord les besoins publics à satisfaire et déterminent ensuite les moyens pour les financer. Or, selon Hayek, la démarche devrait être exactement inverse : « ce devrait être la décision concernant le niveau des prélèvements fiscaux qui fixe le volume total du secteur public » (DLL tome 3, 1983, p. 61). Il déplore le fait qu’à partir de la fin du XIXe et au cours du XXe siècle, l’impôt progressif a fini par être instauré, notamment en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Selon lui, ce système conduit à une augmentation incontrôlée des dépenses publiques par la redistribution et aussi par la politique économique conjoncturelle. L’impôt progressif remettrait en cause le principe d’égalité devant la loi et se traduirait par une coercition sur les catégories aisées de la population. Il limiterait aussi la capacité à l’investissement et à l’innovation et porterait finalement atteinte à la liberté individuelle (même point de vue que celui de Milton Friedman).


Hayek se prononce en faveur de l’impôt proportionnel sur le revenu, et le faible taux retenu ne doit pas être modifié en fonction de l’évolution de la conjoncture économique. Chacun doit « recevoir approximativement autant de services qu’il aura à payer en impôts ». Quel est maintenant le périmètre légitime de l’État, selon Hayek ?


Tout d’abord, Hayek affirme qu’il ne plaide pas pour un « État minimal » dont le seul rôle serait de fournir le cadre juridique de la concurrence. Effectivement, Hayek ne limite pas les activités de l’État à celle de l’ « Etat-gendarme ». Parmi les fonctions de l’État, nous trouvons l’administration générale, la justice et la défense nationale. Il doit protéger les individus contre la violence, les épidémies, les catastrophes naturelles, mais aussi contre la pollution (air, eau). Nous trouvons aussi les travaux publics d’infrastructure. L’Etat doit aussi fournir des informations (statistiques, certificats de qualité…).


Concernant les services publics, il convient de les réduire au minimum. L’État doit renoncer à la fourniture de services, tels que les transports, les télécommunications, la fourniture d’énergie, les monopoles naturels ; il faut rayer aussi la poste des services publics (comme chez M. Friedman). Cependant, l’Etat doit fournir un service d’éducation gratuit pour tous, un enseignement général de base, en raison des externalités positives générées par l’accès à la connaissance. Toutefois, cela ne signifie pas que cette instruction soit assurée par l’Etat lui-même. Hayek est partisan, comme Milton Friedman, du chèque éducatif (voucher): chaque famille recevrait chaque année un chèque éducatif, qu’elle cèderait à une école privée choisie sur une liste d’habilitation (DDL, tome 3, 1983, p. 71). L’école recevrait la contrepartie monétaire du chèque auprès de l’État. Par contre, pour l’enseignement universitaire, les étudiants doivent recourir à un système de prêt pour financer leurs études.


Parmi les différentes fonctions de l’Etat, il reste une exception, celle du revenu minimum garanti, contre l’exclusion sociale. En effet, Hayek condamne, on l’a vu, l’État providence, mais il propose le versement par la collectivité d’une allocation aux plus démunis, pour leur permettre de disposer d’un filet de sécurité minimal. Cette idée est défendue depuis La Route de la servitude, jusqu’à La Constitution de la liberté et Droit, Législation et Liberté (DLL, tome 2, 1982, p. 105 ; tome 3, 1983, pp. 64-66). Cette proposition vise à assurer un minimum vital pour les plus pauvres, pour ceux qui se trouvent dans une grande détresse : personnes handicapées, incapables de travailler régulièrement ou incapables d’obtenir sur le marché une rémunération pour vivre décemment. Bien entendu, la preuve de cette situation de détresse involontaire doit être faite par l’intéressé. Ici, l’Etat devra faire un contrôle minutieux, car il n’est pas question dit-il d’aider les « marginaux parasites » !


Dans le cas où la personne est malade, handicapée, l’allocation sera égale au montant du revenu minimum garanti ; dans le cas où la personne exerce une activité insuffisante pour vivre décemment, l’allocation viendra seulement compléter le revenu d’activité. Mais l’instauration de ce système d’allocation doit s’accompagner de la disparition de toutes les aides existantes dans le cadre de l’Etat providence. Hayek reconnaît donc implicitement l’existence d’une défaillance de l’ordre spontané du marché et sa proposition relève de la redistribution des revenus ! Il a prétendu que sa proposition était une réadaptation de la « loi sur les pauvres » en Angleterre (La constitution de la liberté, trad. fr. Paris : Litec, 1994, p. 285).


 5-Un projet de réforme constitutionnelle (l’« utopie utile »)


Pour Hayek, la démocratie n’est pas une garantie absolue contre l’oppression de l’État, et un gouvernement élu, tout comme un dictateur, peut violer les règles de droit, les règles de juste conduite. La démocratie illimitée, sans frein, représente un danger, car elle se caractérise par une coercition de la majorité sur la minorité (point de vue partagé par Friedman). Hayek se méfie, par conséquent, de la démocratie représentative et selon lui, la souveraineté du peuple est une « superstition constructiviste » (DLL tome 3,1983,  p. 40-43).
Dans les régimes démocratiques, les assemblées élues votent des lois en faveur de quelques groupes de pression, au nom de la justice sociale et au détriment d’autres couches de la société. Pour conserver leur majorité, les partis politiques se mettent inévitablement au service d’intérêts particuliers, des lobbies, des syndicats. On a affaire à une « démocratie de marchandages ». Hayek affirme même : « Bien qu’il y ait de bonnes raisons de préférer un gouvernement démocratique limité à un gouvernement limité non démocratique, je dois avouer que je préfère un gouvernement non démocratique soumis à la loi à un gouvernement démocratique illimité (et de  ce fait, délié des lois). »


Dans les années 1960, Hayek était un admirateur du régime de Salazar au Portugal. En 1962, il lui envoie La constitution de la liberté pour dit-il « l’aider dans ses efforts de concevoir une Constitution protégée des abus de la démocratie ».


Une première expérience pratique de politique économique ultra-libérale débute au Chili sous Pinochet à partir de 1973, sous la direction des “Chicago Boys”. Hayek expliquera, dans un article paru au Chili sous Pinochet (El Mercurio, 19 avril 1981), qu’une « dictature qui s’impose elle-même des limites peut mener une politique plus libérale qu’une assemblée démocratique sans limites » . Cette position n’est pas isolée, car les néo-libéraux américains tels que James Buchanan et Gordon Tullock (public choice) ont défendu au Chili la « démocratie limitée ». En 1978, Hayek avait même été consulté par le gouvernement de Pinochet sur le projet de nouvelle constitution chilienne (adoptée en 1980).
Hayek a, en effet, réfléchi à une nouvelle organisation politique assurant l’exercice de l’Etat de droit dans le monde occidental, baptisée par lui « Démarchie » (Demarchy). La « démarchie » est un système de démocratie « limitée », de démocratie restreinte, caractérisé par trois instances : l’Assemblée législative, l’Assemblée gouvernementale et la Cour constitutionnelle.


1 -L’Assemblée législative, l’assemblée des « sages », une élite, joue un rôle-clé, car elle est chargée d’une part, d’élaborer, de voter et de promulguer les lois et d’autre part de déterminer le système fiscal et le volume de recettes fiscales de l’État. L’Assemblée législative est très originale quant à son mode d’élection; les seuls électeurs sont les membres de la tranche d’âge de 45 ans. Donc, on vote une fois dans sa vie pour l’Assemblée législative. Il s’agit en fait d’une élection indirecte, puisque la classe d’âge concernée va élire des délégués régionaux, qui eux-mêmes vont élire les membres de l’Assemblée législative pour 15 ans. Cette assemblée est renouvelée chaque année pour un quinzième. Selon Hayek, elle doit être composée d’hommes et de femmes d’âge mûr, ayant obtenu une solide réputation de sagesse, non soumis aux groupes de pression (mandat évidemment non reconductible). La moyenne d’âge de l’Assemblée législative est en effet élevée, puisque ses membres ont entre 45 et 60 ans.


2 -L’Assemblée gouvernementale est élue au scrutin majoritaire par les formations politiques. Elle gère les affaires courantes, ventile en particulier les dépenses publiques de l’État dans le respect de l’enveloppe fixée par l’Assemblée législative. Au sein de l’Assemblée gouvernementale, un comité exécutif de la majorité formera le gouvernement.
Tous les citoyens peuvent-ils voter pour l’Assemblée gouvernementale ? La réponse d’Hayek est négative. En effet, voter n’est pas un droit absolu de l’individu, et il est donc normal de retirer le droit de vote à tous ceux qui bénéficient de fonds publics : d’abord, les fonctionnaires, qu’ils soient en exercice ou en retraite, ensuite tous ceux qui touchent les aides publiques, le revenu minimum garanti. En effet, ces différentes catégories ne doivent pas pouvoir voter pour des projets qui les concernent directement au plan financier (DLL tome 3, 1983, p. 142).


3 - La Cour constitutionnelle doit être composée de juges ou d’anciens membres des deux assemblées. Son action consiste à régler les litiges éventuels surgissant entre les deux assemblées, par exemple sur les questions fiscales. Cette Cour doit aussi veiller à éviter les empiétements de compétences entre ces deux assemblées.

Conclusion (à compléter !)


Nous avons donc vu que Eucken et Hayek proposent deux versions différentes du « néo-libéralisme » au cours du XXe siècle. Mais aussi bien des auteurs critiques, que des économistes orthodoxes, comme Viktor Vanberg (disciple de J. Buchanan, économie politique constitutionnelle et titulaire de la chaire d’Hayek à Fribourg à partir de 1995), tentent de minimiser les différences entre l’ordo-libéralisme et le libéralisme radical d’Hayek, en insistant sur leur détestation commune de l’école historique allemande, du keynésianisme, de l’économie dirigée, du socialisme. A sa manière, Michel Foucault minimise lui-aussi les différences dans son cours, Naissance de la biopolitique. Or, les différences sont importantes, au point de vue doctrinal, et aussi en ce qui concerne les préconisations de politique économique. S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p.  289, 401, 473-474.


 P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte, 2009, p. 6.
 Sur le contexte de l’époque, voir F. Denord, Le néo-libéralisme à la française. Histoire d’une idéologie politique, Paris : Agone, 2016.
Auteur de The ethics of competition and other essays (New York : Harper & Bros, 1935).
 R. Van Horn et P. Mirowski, « The rise of the Chicago school of economics and the birth of Neoliberalism », in : P. Mirowski et D. Plehwe, edited by, The road from Mont Pèlerin, Harvard U. Press, 2009, p. 209 ; S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 457 ; V. J. Vanberg, « Hayek in Freiburg », Freiburger Diskussionspapiere zur Ordnungsökonomik, n°12/1, 2012, p. 6 ; R. Fèvre, L’ordolibéralisme (1932-1950) : une économie politique du pouvoir, thèse Université de Paris 1, 2017, p. 259.
 Il est l’auteur de la célèbre distinction en politique monétaire entre règle et discrétion reprise par Friedman et d’autres plus tard.
 Voir aussi H. C. Simons, « The requisites of free competition », American Economic Review, vol. 26, n°1, Supplement Papers and Proceedings, mars 1936, p. 69.
 Op. cit., p. 74.
 H. C. Simons, review of Mises, Omnipotent Government, Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, n°236, 1944, p. 192-193.
 Dans son discours introductif, L. Rougier utilise la célèbre métaphore du code de la route : avec les « manchestériens », on roule comme on veut, d’où anarchie et accidents ; avec les « planistes », on impose les heures de sortie et les itinéraires des voitures ; avec le « néo-libéralisme », on met en place un code de la route !
 Auteur de La crise du capitalisme (Paris : Ed. de la Revue bleue, 1935). En 1939, il devient sous-gouverneur de la Banque de France.
 Pour L. Baudin, le régime de Salazar est un exemple concret d’application du « néo-libéralisme » (L’aube d’un nouveau libéralisme, Paris : Ed. Génin, Librairie de Médicis, 1953, p. 169).
 Ola Innset, Reinventing Liberalism. Early Neoliberalism in context, 1920-1947, thèse European University Institute, septembre 2017, p. 83.
 Voir A. Diemer, «1929 : crise du capitalisme et renouveau du libéralisme, l’apport des économistes français », Economie et Sociétés. Cahiers de l’ISMEA, série PE n°48, juin 2013.
 1944 est une année importante avec la parution de La Grande transformation de Karl Polanyi et du rapport Beveridge sur le plein emploi.
 F. A. Hayek, « Les intellectuels et le socialisme » (1949), rééd. in : Essais de philosophie, de science politique et d’économie (1967), Paris : Les Belles Lettres, 2007.
 En 1956, elle comptera environ 200 membres.
 B. Jackson, « At the origins of neo-liberalism : the free economy and the strong State, 1930-1947 », The Historical Journal, vol. 53, n°1, 2010, p. 136-137.
 Bien que figurant parmi les fondateurs de la Société du Mont Pèlerin, W. Lippmann ne participera à aucune conférence et quittera l’orbite du néo-libéralisme.
 S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 303 et 345.
 A. Fisher va fonder en 1981 aux USA la Fondation Atlas pour la recherche économique, ou Atlas Network, financé par les entreprises pour créer des fondations ultra-libérales dans le monde. Aujourd’hui, il abrite environ 500 think tanks répartis dans un centaine de pays.
 En 1974, est créé le Center for Policy Studies (CPS), présidé par K. Joseph et dirigé par Margaret Thatcher.
 Voir aussi R. Van Horn et P. Mirowski, « The rise of the Chicago school of economics and the birth of Neoliberalism », in : P. Mirowski et D. Plehwe, edited by, The road from Mont Pèlerin, Harvard U. Press, 2009, p. 216-217 ; S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 459.
 Par ailleurs, l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS), fondée en 1966 et financé par le patronat français, regroupe des membres français de la société du Mont-Pèlerin (Daniel Villey, Jacques Rueff, Gaston Leduc, et plus tard Alain Madelin). Elle organise des semaines de la pensée libérale pour faire pièce aux semaines de la pensée marxiste.
Il préside alors le comité d’experts, dit « comité Pinay- Rueff », qui met au point un programme de lutte contre l’inflation, une réforme monétaire et prépare la libéralisation des échanges extérieurs.
 Rueff défend les interventions institutionnelles compatibles avec le mécanisme des prix qui sont de trois sortes :
1-celles qui affectent le cadre juridique et monétaire du mécanisme des prix : stabilité monétaire, lois anti-cartels et anti-trusts ;
2-celles qui affectent les causes de prix : taxes sur les alcools, limitation de la durée du travail, législation du travail : action sur l’offre ;
3-celles qui affectent les effets des prix : mesures de redistribution sans perturbation du mécanisme des prix : allocations familiales, certaines subventions, enseignement gratuit, etc.
(J. Rueff, « L’intervention de l’Etat » (1955), in : Œuvres complètes, Politique économique, Plon, 1980, rééd. in : J. Bourricaud et P. Salin, Présence de Jacques Rueff, Paris : Plon, 1989). Voir aussi J. Rueff, Epître aux dirigistes, Paris : Gallimard, 1959.
 J. Rueff, « Une mutation des structures politiques : le marché institutionnel des communautés européennes », Revue d’économie politique, 1958, repris in : De l’aube au crépuscule, Paris : Plon, 1977, p. 355, cité par S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 499.
 Voir Frédéric Tristram, « Jacques Rueff, haut fonctionnaire atypique et acteur du renouveau libéral au tournant des années 1930 », in : D. Barjot, O. Dard, F. Fogacci et J. Grondeux, sous la direction de, Histoire de l’Europe libérale, Paris : Nouveau monde, 2016.
 Voir A. Diemer, «1929 : crise du capitalisme et renouveau du libéralisme, l’apport des économistes français », Economie et Sociétés. Cahiers de l’ISMEA, série PE n°48, juin 2013.
 Les conférences d’Eucken à la London School of Economics, interrompues par sa mort, sont publiées en 1951 sous le titre : This unsuccessful age. The pains of economic progress (London : W. Hodge), mais elles ne nous renseignent guère sur les principes de son libéralisme.
 W. Röpke, La crise de notre temps, Paris : Payot, 1962, p. 183.
 L’école historique d’économie en Allemagne porterait une part de responsabilité dans cette dérive.
 Röpke, La crise de notre temps, Paris : Payot, 1962, p. 183 et 196-206.
 Voir aussi M. Wohlgemuth, « L’influence de l’économie autrichienne sur le libéralisme allemand », in : Philippe Nemo et Jean Petitot, sous la direction de, Histoire du libéralisme en Europe, Paris : P. U. F., 2006, p. 1010-1011.
 Croyance kantienne, selon laquelle la science détient la vérité objective (P. Commun, « Walter Eucken entre économie et politique (1891-1950) », in : A. Alcouffe et C. Diebolt, éd., La pensée économique allemande, Paris : Economica, 2009, p. 387).
 W. Eucken, « Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwicklichung », Ordo, n°2, 1949, cité par Silvio Cotellessa, « Introduzione » à W. Röpke, Democrazia ed economia, Bologne : Il Mulino, 2004, p. 27-28.
 Voir H. Tietmeyer, Economie sociale de marché et stabilité monétaire, Paris : Economica, 1999. Tietmeyer a rédigé une thèse sous la direction d’A. Müller-Armack sur « la notion d’Ordo dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique ».
 J. Germain, in : H. Rabault, sous la direction de, L’ordolibéralisme, aux origines de l’Ecole de Fribourg-en-Brisgau, Paris : L’Harmattan, 2016, p. 256-257 ; R. Fèvre, L’ordolibéralisme (1932-1950) : une économie politique du pouvoir, thèse Université de Paris 1, 2017, p. 266.
 La loi fondamentale de la RFA (1949) intégrait la « règle d’or » traditionnelle (recours à l’emprunt uniquement pour les dépenses d’investissement). Les ordo-libéraux la jugeaient peu efficace. En 2009, l’Allemagne a modifié sa loi fondamentale avec un nouvel article :
-interdiction de voter un budget en déficit, sauf circonstances exceptionnelles ;
-déficit structurel de l’Etat fédéral limité à 0, 35 % du PIB.
Ce « frein à l’endettement » est accepté par les disciples de l’ordo-libéralisme.
 L. P. Feld, E. A. Köhler et D. Nientiedt, « The German anti-Keynes ? On Walter Eucken’s macroeconomics », Freiburger Diskussionspapiere zur Ordnungsökonomik, n°18/11, 2018, p. 17.
 W. Röpke préconise de limiter les prélèvements obligatoires à environ 25 % du PIB (J. Germain, in : H. Rabault, sous la direction de, L’ordolibéralisme, aux origines de l’Ecole de Fribourg-en-Brisgau, Paris : L’Harmattan, 2016, p. 252).
 Voir par exemple, W. Röpke, La crise de notre temps, Paris : Payot, 1962, p. 203 et 217.
 Evidemment, la notion d’« Etat fort » est très ambigüe compte tenu de ses multiples usages dans le contexte allemand des années 1930 (par exemple, chez Carl Schmitt).
 Dans ce système, « chacun a la main dans la poche de son voisin », disait Ludwig Erhard dans La prospérité pour tous (Paris : Plon, 1959, p. 133)
En 1958, Alfred Müller-Armack est nommé secrétaire d’Etat pour les questions européennes et joue un rôle jusqu’en 1963 et participe aussi à la création de l’Association européenne de libre-échange (AELE).
 M. Wohlgemuth, « L’influence de l’économie autrichienne sur le libéralisme allemand », in : Philippe Nemo Philippe et Jean Petitot, sous la direction de, Histoire du libéralisme en Europe, Paris : P. U. F., 2006, p. 1010-1011.
 R. Van Horn et P. Mirowski, « The rise of the Chicago school of economics and the birth of Neoliberalism », in : P. Mirowski et D. Plehwe, edited by, The road from Mont Pèlerin, Cambridge, Mass : Harvard U. Press, 2009, p. 164-165.
 V. J. Vanberg, « Hayek in Freiburg », Freiburger Diskussionspapiere zur Ordnungsökonomik, n°12/1, 2012, p. 9.
 Op. cit., p. 5.
 B. J. McCormick, Hayek and the Keynesian Avalanche, New York, St Martin’s Press, 1992, p. 295, cité par G. Dostaler, Le libéralisme de Hayek, Paris: La Découverte, coll. Repères, 2001, p. 24.
 Dans sa lettre du 5 février 1982, Hayek conseille à M. Thatcher de s’inspirer de la politique de Pinochet en accélérant les réformes libérales. Le 17 février 1982, elle lui répond notamment : « […] avec nos institutions démocratiques et la nécessité d’avoir un haut degré de consentement, certaines des mesures adoptées au Chili sont tout-à-fait inacceptables. Nos réformes doivent être en ligne avec nos traditions et notre Constitution. Parfois le processus peut sembler durement long » (archives de la fondation Thatcher).
 Notons que la critique de cette tradition intellectuelle rationaliste (Descartes, Physiocratie, les « Lumières », la Révolution française) se trouve déjà dans les écrits de Louis Rougier (voir S. Audier, Le colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme, Paris : Ed. Le Bord de l’eau, 2008, p. 51-56).
 On notera qu’Hayek est particulièrement hostile vis-à-vis du libéral social John Stuart Mill et de ses successeurs (« nouveaux libéraux ») en Angleterre, qui auraient tenté de faire évoluer le libéralisme vers le socialisme.
 L. Robbins, « Hayek on liberty », Economica, N. S., vol. 28, n°109, février 1961, p. 69-77.
 A. Ferguson, An Essay on the Theory of Civil Society (1767). Hayek reconnaît que Marx a tire profit de cet auteur !
 Une notion d’ordre qui se situerait entre l’ordre construit (artificiel) et l’ordre naturel (kosmos).
 Trois règles : liberté des contrats, inviolabilité de la propriété, devoir de dédommager autrui pour les torts qu’on lui a causé (DLL, tome 2, 1982, p. 48).
 DLL, tome 1,1980, p. 27.
Op. cit, p. 129.
 F. A. Hayek, “La concurrence comme proceed de découverte” (1968), in: Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d’économie et d’histoire des idées (1978), Paris: Les Belles Lettres, 2008, p. 267-282.
 F. A. Hayek, Individualism and economic order, Chicago : University of Chicago Press, 1948, p. 105.
 Voir M. C. Esposito, « Le moment Thatcher », in : D. Barjot, O. Dard, F. Fogacci et J. Grondeux, sous la direction de, Histoire de l’Europe libérale, Paris : Nouveau Monde, 2016, p. 306-307.
 F. A. Hayek, in : The Fortunes of Liberalism, Collected Works, vol. IV, 1992, p. 190 ; voir aussi S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 462.
 Cité par M. Wohlgemuth, in : Philippe Nemo et Jean Petitot, sous la direction de, Histoire du libéralisme en Europe, Paris : P. U. F., 2006, p. 1022.
 Dans le compte rendu de ce livre indiqué plus haut, L. Robbins s’étonne de cette critique excessive selon laquelle l’Etat-Providence conduirait à « la désintégration sociale et au camp de concentration » ! (1961, p. 80).
 Une réfutation d’Hayek sur ce thème est tentée par Steven Lukes, « Social justice : the Hayekian challenge », Journal des économistes et des études humaines, vol. 7, n°4, décembre 1996, p. 617-626.
 Déclaration universelle des droits de l’homme, coll. Folio, 1988, p. 96-104.
 Voir F. A. Hayek, La Constitution de la liberté, Paris : LITEC, 1994, p. 313-315.
 On peut constater qu’Hayek ne donne pas de chiffres précis sur le périmètre optimal des dépenses publiques (en % du P.I.B., par exemple). Une démarche très différente de celle de Milton Friedman qui lui estime que les dépenses publiques doivent rester dans la fourchette de 10-15 % du P.I.B. Pourquoi ces deux chiffres de Friedman ? 10 % du P.I.B., chiffre de l’Angleterre sous la reine Victoria, à la fin du XIXe siècle ; 15 % du P.I.B., chiffre de Hong Kong à l’« âge d’or » de la colonisation britannique : un modèle de bonne gestion des dépenses publiques, selon Friedman (M. Friedman, entretien avec H. Lepage, 2003, cité par P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte, 2009, p. 291).
 DLL, tome 3, 1983, p. 61. Hayek se réclame donc du principe du « bénéfice » : l’impôt est le prix payé pour les services collectifs et il est lié à la satisfaction retirée par les individus des dépenses publiques.
 Ce système a été expérimenté aux Etats-Unis depuis les années 1990 dans quelques Etats (Californie, Floride, Wisconsin...). Mais les parents des classes aisées n’ont pas accepté, car ils ont vu arriver des enfants de pauvres dans les bonnes écoles !
  F. A. Hayek, “Démocratie ? Où ça ?” (1976), in: Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d’économie et d’histoire des idées, Paris : Les Belles Lettres, 2008, p. 233-234.
J. Solchany, Wilhelm Röpke, l’autre Hayek. Aux origines du néo-libéralisme, Paris : Publications de la Sorbonne, 2015, p. 492.
 Dans ses conférences Contre Galbraith (1977), Friedman conseillera à l’Angleterre de s’inspirer de l’expérience chilienne.
 J. Solchany, op. cit., p. 492 ; S. Audier Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris : Grasset, 2012, p. 378. Voir aussi G. Dostaler, « Les chemins sinueux de la pensée économique libérale », L’Economie politique, n°44, octobre 2009, p. 43.
 Voir K. Fisher, « The influence of Neoliberals in Chile before, during, and after Pinochet », in : P. Mirowski et D. Plehwe, edited by, The road from Mont Pèlerin, Harvard U. Press, 2009, p. 324-325.
 Op. cit, p. 328.
 F. A. Hayek, « Liberté économique et gouvernement représentatif » (1973), in : Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d’économie et d’histoire des idées, Paris : Les Belles Lettres, 2008, p. 177-185 ; DLL, tome 3, 1983. Demos : le peuple ; archein : commander, gouverner.
 L’inspiration d’Hayek vient ici de la Cour suprême des États-Unis.
 Une étude des différences est réalisée par Manuel Wörsdörfer, dans « Von Hayek and Ordoliberalism on Justice », Journal of the history of economic thought, vol. 35, n°3, septembre 2013.