Note de lecture

James K. Galbraith, La grande crise – Comment en sortir autrement – Économie humaine – Seuil – janvier 2015)  ISBN 978.2.02.121951.7
Par Bernard Drevon - à paraître prochainement dans la revue Idées économiques et sociales - Canopé - CNDP

James K. Galbraith est professeur à l’université du Texas, fils de John K. Galbraith le célèbre économiste auteur du Nouvel État industriel. C’est un économiste américain de renommée internationale, l’une des figures incarnant l’économie hétérodoxe.
Pour aller à l’essentiel, il considère que l’analyse économique s’est coupée à tort des enseignements de la physique d’une part et des autres sciences sociales d’autre part en adoptant une approche de la croissance fondée sur les variables travail, capital et progrès technique. Adaptée à la période d’après seconde guerre mondiale, elle entrerait en crise dès la fin des années 1960 avec la hausse des coûts de production liée à la raréfaction des sources d’énergie. La hausse et l’instabilité chronique des prix du pétrole réduiraient les possibilités d’assurer une rentabilité suffisante de longue période aux capitaux investis. De même, le dérèglement climatique imposerait des limites à la croissance dans un proche avenir.

 

La première partie est consacrée en 5 chapitres à une longue réflexion sur l’histoire économique de longue période conduisant de la Grande crise des années 30 au premier choc pétrolier de 1973, premier frémissement de la grande crise contemporaine des années 2000, ultime étape. Il en profite pour montrer les insuffisances de l’analyse économique orthodoxe celle « des économistes de l’eau douce » - de Chicago, mais aussi de ses confrères du courant des « nouveaux keynésiens » - comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz, les « économistes de l’eau salée » - du MIT en fait. Il souligne que ce dernier courant en insistant sur les asymétries d’information et certaines imperfections du marché passe à côté de l’essentiel. Il ne suffira pas d’un « peu aider » les marchés à retrouver leur équilibre « naturel » par une intervention de l’État pour sortir de la situation contemporaine. De même, il critique les marxistes américains issus de la tradition américaine Baran-Sweezy-Bowles-Gintis. Certes, ils incorporent dans leurs modèles la possibilité de crise mais leurs modèles restent intemporels, abstraits et peu capables de prévoir et d’analyser les crises dans leurs manifestations historiques concrètes. Ainsi le rôle central de la finance dans la crise contemporaine n’a pas été anticipé et analysé. « La tradition marxiste partage donc avec les économistes de l’eau douce et de l’eau salée une concentration sur une structure profonde de relations qui sous-tendent et transcendent la finance. Pour les marxistes comme pour les antimarxistes, la finance est essentiellement un voile sur des forces fondamentales (…). Aucune des trois tendances ne la voit comme la force centrale ou motrice. »
En revanche, il insiste sur les apports de Hyman Minsky, auteur qui a placé l’instabilité financière au centre de sa réflexion. Pour Minsky, l’instabilité financière est intrinsèque au capitalisme. Elle vient de l’intérieur. Elle ne nécessite pas de perturbations externes, de chocs. Il revient donc aux pouvoirs publics de réglementer le comportement financier, de limiter la spéculation. Malgré tout, « les abus et leurs conséquences sont inévitables »… Pour Minsky il n’y a aucune séparation entre secteur financier et économie réelle. « Le niveau d’emploi, le taux d’inflation, le rythme d’investissement et de changement technologique – tout se fait en passant par des décisions de crédit prises essentiellement par les banques et les institutions financières. » Et son analyse a des liens conceptuels étroits aves des applications récentes des systèmes dynamiques non linéaires aux problèmes économiques.
La seconde partie porte sur « Les quatre cavaliers de la fin de la croissance » qui sont tout d’abord la raréfaction des ressources énergétiques et l’augmentation de leurs coûts d’extraction. Ce « collier étrangleur » engendre l’apparition d’une structure cyclique des prix : les prix montent dans les phases d’expansion, sous l’effet de la demande et de la spéculation, jusqu’au moment où la demande s’effondre (comme actuellement pour le pétrole en janvier 2015). Ils s’orientent alors la baisse jusqu’à la reprise de la demande et de l’expansion…  Cette structure est anxiogène et tend à réduire l’incitation à investir dans la recherche, les raffineries induisant encore plus de pénurie. Plus globalement, ceci réduit les marges de l’ensemble des autres entreprises et contribue à les détourner de projets à long terme, les poussant à réduire leurs immobilisations, leur niveau d’emploi et l’ensemble de leurs coûts fixes. Ce « collier étrangleur » fait sentir cycliquement son effet, interdisant une reprise durable de la croissance de long terme. Les autres cavaliers de l’apocalypse sont la futilité de la force dont les États-Unis ont fait l’amère expérience en Irak, l’ouragan numérique induisant une baisse drastique des besoins en main-d’œuvre et les retombées de la fraude financière massive conséquence de la dérégulation.
Pour notre auteur, ceci devrait nous conduire à changer nos modes de pensée. Il exclut la décroissance génératrice selon lui de conflits sans fin entre les forces sociales pour la captation de ressources en constante baisse. Il considère par ailleurs que la crise est mondiale en conduisant une analyse décapante et d’actualité de la crise européenne. Si des facteurs propres à l’Europe jouent pour rendre compte des difficultés des pays de la périphérie (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie), les fameux PIIGS, comme les institutions rigides de la zone euro, l’avance industrielle considérable et historique de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, les politiques non coopératives conduites en Allemagne dans les années 90 (lois Hartz), l’austérité absurde imposée à ces pays conduisant à la révolte politique des populations concernées (voir les mouvements sociaux, les partis Podemos en Espagne, Syriza en Grèce), la crise est bien mondiale car causée par la fuite des capitaux spéculatifs volant vers la sécurité des placements dans les grands pays suite à la crise financière trouvant son épicentre aux Etats-Unis en 2007.
Il préconise la recherche d’une croissance lente avec des réformes pour les États-Unis comme l’ouverture temporaire d’une fenêtre de retraite anticipée pour libérer des postes de travail, une hausse substantielle du salaire minimum, un alourdissement des taxes sur les successions-donations pour lutter contre les inégalités (voir les travaux de T. Piketty et E. Saez). La protection sociale devrait aussi être renforcée.
« L’objectif de cette constellation de politiques est simple : créer un cadre institutionnel, fiscal, salarial, financier, social et philanthropique qui favorise l’absorption de la population active dans l’emploi rémunéré stable, tout en assurant un confort modeste à ceux qui répondent à des critères clairs les dispensant de faire partie de la population active (l’âge, le handicap, le statut d’étudiant). »
L’ère de la croissance rapide est achevée pour lui et celle du plein emploi garanti par la croissance également. Nos sociétés devraient en prendre clairement conscience.
« Un modèle de croissance lente doit encourager une forme de capitalisme qualitativement différente, fondée sur des unités économiques plus décentralisées, qui auront des coûts fixes relativement bas, un usage relativement élevé de la main-d’œuvre par rapport aux machines et aux ressources, des taux de rendement attendus relativement faibles, mais qui seront toutes soutenues par un cadre de normes de travail et de mesures de protection sociales. Parmi les secteurs que valorise une société prospère à haut revenu, beaucoup –l’éducation, la santé, le soin aux personnes âgées, l’art, le sport – satisfont ces critères. La clé, c’est d’assurer leur viabilité et leur durabilité. Et il y a la question du changement climatique. »
Cette note optimiste ne doit pas faire oublier les dangers qui guettent notre système économique. L’exemple de l’URSS, un autre système économique caractérisé par des coûts fixes très, trop élevés et un haut niveau technologique et scientifique  sous-estimé aujourd’hui doit rester présent à nos esprits. Nos sociétés complexes ne sont pas à l’abri du même type de menaces d’effondrement faute d’une adaptation rapide.