Notes sur l’ouvrage de Frédéric Gros, Pourquoi la guerre ? Albin Michel, 2023

Par Bernard Drevon

 

On ne saurait trop conseiller la lecture de cet essai qui nous donne une grille d’interprétation de la guerre, des guerres du passé comme celle sévissant actuellement entre la Russie et l’Ukraine, tout en explorant les différentes théories et dimensions des guerres sur les plans politique et philosophique. 

 

Comme le souligne l’auteur, cette fois c’est vraiment la guerre après l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Il est frappé par la stupeur paradoxale qui s’est emparée des esprits et des médias à cette occasion. Une vraie guerre aux portes orientales de l’Europe, évènement que l’on croyait impossible paradoxalement car le dernier demi-siècle avait connu des formes inédites de violences de masse : guerres par procuration, guérillas, actes terroristes, guerre globale… 

L’auteur se propose d’explorer les différentes dimensions de ce conflit qui permettent de le définir comme une vraie guerre, différente des affrontements précédents, en terminant par une réponse à l’interrogation initiale « pourquoi la guerre ? » et en tentant in fine d’envisager vers quelle paix elle pourrait conduire. 

On peut être frappé par la récurrence du thème du retour de la guerre suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022 sous la plume des éditorialistes comme si la paix avait régné depuis 1945, notamment en Europe, oubliant la guerre ayant sévi lors du démembrement de la Yougoslavie. 

Il vaudrait mieux demander ce qu’est devenue la guerre, quelles formes elle a pu prendre après 1945, et comment le conflit actuel s’inscrit dans une série de transformations stratégiques majeures que l’auteur présente comme une forme de tragédie en trois actes : guerre froide ; guerre globale ; guerre de chaotisation. 

 

La guerre globale est celle qui surgit après le 11 septembre contre le terrorisme. Elle s’écarte des formes traditionnelles des conflits puisque le terrorisme ne vise qu’à semer la terreur au nom de croyances religieuses, de la lutte contre un mode de vie, pour venger des humiliations sans chercher à conquérir des territoires. La violence y prend un dimension mystique, millénariste… Elle suscite des « interventions » extérieures de coalitions de nations dans le cadre de l’ONU ou de l’OTAN. 

 

Les guerres de chaotisation sont la conséquence des réactions aux printemps arabes de 2011. Elles sévissent en Syrie, en Libye, en Irak suite aux révolutions démocratiques noyées dans des répressions féroces des pouvoirs en place, des interventions extérieures nourrissant des factions, des milices qui prospèrent sur la base de ces conflits. Ces guerres ne visent pas la paix, mais la poursuite infinie des opérations militaires, sources de juteux bénéfices. 

 

La guerre entre la Russie et l’Ukraine renoue avec certaines formes traditionnelles de la guerre c’est pourquoi elle a suscité la stupeur et l’inquiétude. Mais elle présente aussi des formes millénaristes qui la renvoie à des conflits plus récents comme ceux ayant sévi en Irak ou en Syrie. 

 

« Avec ce modèle, nous percevons a contrario que la guerre en Ukraine renoue avec des formes classiques : une agression caractérisée prenant la forme d’une invasion de territoires par des forces conventionnelles, des combats acharnés pour défendre un territoire pied à pied, des concentrations de violence précises, l’exil obligé des populations fragiles. 

Mais sur d’autres aspects on trouve aussi des éléments de violence millénariste : l’invocation d’une fonction mystique de la Russie comme vecteur purificateur de la décadence européenne, l’exigence de retour à une origine mythifiée, le spectre agité de la catastrophe totale au moyen de la menace nucléaire. Et du côté européen nait le sentiment que nous sommes encore dans l’histoire et que nous pouvons représenter, pour quelques nations, un espoir de futur. 


 L’impression d’un retour de la guerre a pu sans doute s’imposer avec autant de force parce que ce conflit avait une structure classique correspondant aux plus vieilles définitions de la guerre qui était traditionnellement définie comme « armée, public, et juste ». 

 

L’auteur cherche ensuite en s’appuyant sur les philosophes du passé et les penseurs modernes à réfléchir sur les risques et les causes des guerres totales, plutôt caractéristiques de la modernité, permises par la technique et les logiques capitalistes de production et de destruction. 

 

Enfin, il propose de penser la question initiale : pourquoi la guerre et que seraient les formes que pourrait prendre la paix, de la paix des cimetières à une paix philosophiquement fondée entre républiques démocratiques.