Nouvelle rubrique suscitée par des questions de personnes curieuses mais éloignées d’une formation économique…

Question : mais finalement, qui crée la monnaie et comment ? La banque centrale ?
par Bernard Drevon

Sur la création monétaire et les politiques monétaires

Les banques commerciales créent de la monnaie quand elles accordent un crédit. Elles le font en monnaie scripturale, écrite donc sur leurs livres de comptes et dans leurs bilans. Ainsi si une banque commerciale t’accorde un crédit de 10 000 euros, tu as 10 000 de plus sur ton compte à ta banque A. Tu peux faire des paiements et acheter une auto en faisant un chèque. Il s’agit bien de monnaie ! Si le vendeur d’auto est aussi à la banque A pas de problème pour ta banque. Il s’agit d’un jeu d’écritures. Tu as 10 000 de moins et le vendeur 10 000 de plus. Les guichets et clients d’une même banque forment un circuit monétaire A. Remarque importante : la création de monnaie est fonction du dynamisme de l’économie. Si les agents (consommateurs, entreprises) demandent du crédit, les banques sont tentées de les suivre : on dit que la création de monnaie est endogène et non exogène. Elle dépend de la demande de crédit aux banques commerciales, donc du dynamisme de l’économie. Les banques se rémunèrent en faisant payer un intérêt.

90 % de la monnaie en circulation est constituée de monnaie scripturale crée par les banques commerciales.


Deux choses :

1/ cette monnaie est créée temporairement. Si le crédit est accordé pour 2 ans, tu auras remboursé au bout de cette période. La monnaie créée l’est temporairement. le remboursement détruit la monnaie. Mais comme chaque année il y a plus de crédits nouveaux que de remboursements la masse monétaire augmente d’année en année quand tout va bien. .

2/ Mais la banque A peut connaître des fuites hors de son circuit :

a/ Tu peux demander des billets aux distributeurs. La banque A doit se tourner vers la Banque Centrale Européenne (ici la Banque de France succursale de la BCE) pour les obtenir. Celle-ci a le monopole de la création de monnaie centrale (dont les billets). Cette monnaie centrale est payante, c’est le taux d’intérêt sur le marché monétaire (marché où se présente les banques qui ont besoin de liquidités et la Banque Centrale, ainsi que les banques qui auraient un excédent de monnaie centrale). La banque A va fournir des titres en contrepartie pour obtenir cette monnaie centrale (ici des billets). Par exemple, ta reconnaissance de dette, ou des bons du trésor de l’Etat français qu’elle avait acquis autrefois, des obligations sur des entreprises publiques et privées, etc…

Les billets en circulation ne représentent plus que 10 % de la monnaie.

b/ Tu peux aussi faire des chèques à des clients de la Banque B. La banque A doit alors régler à la banque B la dette que tu lui créées. Si tu fais un chèque de 5000 euros à Peugeot qui est à la Banque B, Peugeot va présenter ce chèque à son banquier qui lui doit 5000 euros. La banque B va se tourner à son tour vers la Banque A qui lui doit 5000 euros.  Comment régler : la banque A va régler avec de la monnaie centrale (billets ou équivalent puisque la monnaie centrale a aussi une existence scripturale)… La monnaie centrale sert aux règlements interbancaires.

Si tout va bien, si la conjoncture est bonne, les agents sont optimistes, ils consomment, investissent, s’endettent… Cela fait marcher le commerce, les emplois…. La masse monétaire augmente…

La politique monétaire

Pour éviter que l’on crée trop de monnaie (source de « surchauffe » - trop de consommation, d’investissements qui créent la tentation d’augmenter les prix et donc l’inflation), la banque Centrale peut augmenter les taux d’intérêt ou réduire l’approvisionnement en monnaie centrale des banques commerciales… C’est la politique monétaire en période de croissance.

En cas de crise, si les Banques sont en difficulté car elles ont spéculé, joué au casino sur les marchés financiers, perdu en prêtant à des pauvres qui ne peuvent pas rembourser (voir les subprimes aux origines de la crise de 2008 aux États-Unis), à des Etats en faillite, à des entreprises en difficulté, à des banques en faillite comme Lehmann Brothers en 2008, cela peut très mal tourner. Le marché monétaire se ferme. Les banques risquent la faillite. Elles limitent leurs crédits… La masse monétaire peut se contracter comme dans les années 1930… Moins de consommation, plus d’investissements… Tout peut s’écrouler… C’est ce qui menaçait en 2008 et ce qui pointe encore aujourd’hui même !

Que faire ? Les Banques centrales ramènent leurs taux à 0 (voire à des taux négatifs !). Elles injectent beaucoup de monnaie centrale sur le marché monétaire en rachetant des titres même de peu de valeur… On dit que les banques centrales créent des liquidités pour les banques commerciales  (on parle de QE : quantitative easing ou de « mesures non conventionnelles » - largement utilisée en Europe et dans le monde (Etats-Unis, Japon).

Espoir que tout reparte : crédit, consommation, investissement… Mais il est tentant pour les banquiers d’utiliser cette liquidité pour la mettre à l’abri dans des placements sûrs, voire pour recommencer à spéculer en les replaçant sur des marchés spéculatifs au lieu de prêter aux entreprises et aux ménages… En gros c’est la situation actuelle !

De plus si les agents (ménages, entreprises) ont peur, ils peuvent attendre, épargner et pas grand chose ne se passe… La politique monétaire est impuissante à relancer seule une économie en dépression profonde. Keynes l’avait démontré en son temps (1936 – Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie). « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » ou en termes plus choisis : l’économie tombe dans « la trappe à liquidité »… Toute la monnaie injectée dans les banques est épargnée, les taux ne peuvent plus baisser…

D’autres mesures doivent être prises : politique budgétaire : dépenses publiques, déficit public, lutte contre les inégalités, hausse des salaires…

Question : existent-il des macro-économistes et des micro-économistes ?

Sur macro et microéconomie :

Il existe en effet des macro-économistes qui se préoccupent des grands phénomènes économiques, à l’échelle des sociétés, des Nations. Quelles relations entre la croissance économique et l’emploi, le chômage, l’équilibre extérieur. Quelle politique économique du coup : que se passe-t-il si l’on augmente le déficit public ou les impôts ? Ils ont longtemps été inspirés par J. M. Keynes et ses commentateurs. Keynes pensait que le tout (le collectif, la société) était supérieur à la somme des parties (des comportements individuels). Ainsi l’épargne est une vertu privée, mais un vice public en période de crise ou de stagnation (comme maintenant). Ou encore le déficit du budget de l’Etat n’est pas une mauvaise chose si la demande privée des ménages (consommation) ou des entreprises (investissement) est insuffisante.

Les micro-économistes s’intéressent eux aux principes qui gouvernent les comportements individuels comme la consommation, l’investissement ou l’épargne… Deux camps (en gros) : ceux qui pensent comme les néolibéraux qu’il faut faire l’hypothèse que les agents sont rationnels et égoïstes – on dit qu’ils sont des homo oeconomicus - ils cherchent à maximiser leur utilité et leur profit individuels, ils sont sensibles aux prix relatifs par exemple. Ceci conduit souvent (à tort) à considérer que le marché est la bonne institution régulatrice, qui envoie des bons prix… Vive le marché, la concurrence et à bas le reste (l’Etat, l’impôt, etc.) qui viennent fausser les signaux prix, perturber les agents… Cela va jusqu’à considérer que les agents sont capables d’anticipations rationnelles sur la base des signaux prix envoyés par les marchés financiers ! On voit où cela nous a mené : à la crise de 2008 dont on ne parvient pas à s’extraire...

D’autres pensent que les agents ne sont pas capables d’être rationnels (c’est trop compliqué, les marchés sont imparfaits, il y a des monopoles, des biens gratuits qui sont gaspillés : la nature, l’air pur, etc.).  L’intervention publique est alors nécessaire. Voire qu’ils ne le sont pas du tout selon les principes énoncés par la théorie dominante ultralibérale : Veblen pensait que nous consommons pour paraître et pas seulement pour satisfaire des besoins, Keynes pensait que les entreprises font des paris sur un avenir incertain, que la spéculation consiste à deviner ce que sera l’opinion moyenne du marché demain (et pas du tout les profits attendus après demain car l’avenir est par définition incertain) etc.  D’autres enfin (souvent les mêmes) introduisent des acteurs collectifs et des intérêts contradictoires dans la société : les patrons et le MEDEF ont leur propre rationalité, qui n’est pas celle de leurs salariés, ni celle des fonctionnaires… D’où des conflits sociaux, des rapports de force…

Ces rapports de force traversent la pensée économique : depuis les années 1970-1980, le courant dominant est néolibéral, s’en tient à une lecture microéconomique restrictive, individualiste et égoïste du comportement des agents… Vive le marché, à bas le collectif…Les macro-économistes n’y comprennent rien, Keynes est mort, Marx encore plus, les agents sont hyper-rationnels.  Les chômeurs sont des paresseux qui profitent des allocations, les fonctionnaires coûtent trop cher, la Sécurité Sociale gaspille l’argent public, l’impôt est une horreur absolue…

Vive l’entreprise, les assurances privées, l’école libre, la mondialisation heureuse, etc… Bref, on reconnaît là ce qui inspire les politiques de droite et de gauche en Europe et chez nous et la cohorte d’  "économistes "  qui passent à la radio et à la télé toute la journée (voir le dernier livre de Eloi Laurent, Nos mythologies économiques, Les liens qui libèrent, 2016) ! On voit où cela mène : inégalités record, chômage permanent ou sous emploi dissimulé, pollution et écoles fermées, crises à répétition, domination de la finance, dissolution de l'Europe…